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ny meſme de vos regards ; ne puiſſe jamais rapeller dans mon ſouvenir la faute que vous avez faite aujourd’huy : & que je me reſous d’oublier, ſi vous agiſſez comme je le veux, & comme je vous l’ordonne. Je feray tout ce que je pourray pour vous obeïr, Madame, repliqua-t’il : mais au nom des Dieux, ne me traitez jamais en innocent, & traitez-moy touſjours en criminel à qui vous faites grace. La Princeſſe ne pouvant ſouffrir que cette converſation duraſt plus long-temps, congedia Cleandre, n’eſtant gueres moins irritée contre elle meſme, que contre luy ; parce qu’elle ne trouvoit pas qu’elle luy euſt parlé avec aſſez de fierté. Comme il ne sçait pas, diſoit-elle, ce que le Roy a deſſein de faire à ſon avantage, que penſera-t’il de moy, de l’avoir écouté avec ſi peu de marques de colere ? & ne dois-je point craindre d’avoir détruit par mon indulgence toute l’eſtime qu’il en peut avoir ? Touteſfois, reprenoit-elle, luy devant la vie du Roy mon Pere, & celle du Prince mon Frere, euſt il eſté juſte d’agir avec toute la ſeverité que ſa hardieſſe meritoit ? Mais enfin, diſoit elle encore, Cleandre de qui le Pere eſt peut-eſtre de telle condition, qu’il me feroit rougir de confuſion & de honte ſi je le sçavois, a eu la hardieſſe de m’avoüer qu’il m’aimoit ; & je ne l’ay pas banny pour touſjours. Ha mon cœur, s’écrioit-elle, vous m’avez trahie, j’aime aſſurément Cleandre plus que je ne penſe, & meſme plus que je ne dois. Mais ſi cela eſt, je dois comprendre par ma propre experience, que Cleandre n’eſt pas ſi criminel car puis que je ne le puis haïr quand je le veux, il eſt excuſable de ne pouvoir pas ceſſer de m’aimer quand je le ſouhaite. Qu’il m’aime donc, adjouſtoit-elle, pourveu qu’il m’