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cœur de tous les hommes, eſt trop univerſellement eſtablie par toute la Terre, pour ne s’y arreſter pas. Il faut pourtant advoüer, Madame, dit Cyleniſe, que la naiſſance toute ſeule, n’eſt pas une choſe fort conſiderable : en effet, adjouſta-t’elle, ſi le Fils du plus Grand Roy du monde eſtoit amoureux de vous, & qu’il eut tous les deffauts imaginables, & pas une bonne qualité : n’eſt-il pas vray que vous ne l’aimeriez point ? & que toute la grandeur de ſes illuſtres Ayeuls ; ny meſme toutes leurs vertus ne luy acquerroient jamais voſtre eſtime ? Tant s’en faut, dit la Princeſſe, je le mépriſerois plus qu’un autre qui auroit les meſmes imperfections, & le haïrois davantage : neantmoins je pourrois pourtant l’épouſer ſans honte, & par raiſon d’Eſtat ſeulement : mais au contraire, Cleandre eſtant auſſi accomply qu’il eſt, merite ſans doute toute mon eſtime : & cependant n’eſtant pas Prince, & ne sçachant pas ſeulement s’il eſt d’une Race Noble, je ne puis certainement, ſelon les maximes ordinaires du monde, que luy donner quelque place en mon amitié, ſans ſonger jamais à l’épouſer. Je sçay bien, adjouſta Cyleniſe, que tout le monde penſe ce que vous dites : mais vous, Madame, qui avez l’ame au deſſus du vulgaire : qui voyez les choſes comme elles ſont, & non pas comme la multitude les voit, qu’en penſez-vous ? & croyez-vous que la vertu de Cleandre, & le commandement du Roy, n’empeſchent pas que l’on ne vous puiſſe blaſmer, quand vous luy obeïrez ſans reſistance ? Ha Cyleniſe, luy dit-elle, que me demandez vous ! & comment penſez-vous que je vous puiſſe répondre ? Mon cœur & ma raiſon ſont ſi peu d’accord, adjouſta-t’elle, qu’il me faut quelque temps pour sçavoir