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encore incomparablement plus aimable, qu’il n’avoit jamais eſté. Au contraire, Arteſilas l’eſtoit beaucoup moins : car le chagrin qu’il avoit de la gloire de Cleandre, le rendoit de ſi mauvaiſe humeur, que tout le monde le fuyoit. De ſorte qu’eſtant venu chez la Princeſſe, comme Cleandre l’entretenoit ; elle vit ſi parfaitement la difference qu’il y avoit de l’un à l’autre ; qu’elle ne pût s’empeſcher le ſoir, en parlant à Cyleniſe, de ſouhaiter que Cleandre fuſt de la naiſſance d’Arteſilas, ou qu’Arteſilas euſt toutes les bonnes qualitez de Cleandre. Cependant quoy qu’il ſe viſt tout couvert de gloire ; que Creſus l’eſtimast infiniment ; que le Prince Myrſile l’aimaſt avec une tendreſſe extréme ; & qu’il fuſt adoré de tout le monde ; il s’eſtimoit touſjours tres malheureux. Car toutes les fois qu’il venoit à penſer, qu’il ne sçavoit qui il eſtoit : & que ſelon toutes les aparences, l’incertitude de ſa naiſſance ſeroit touſjours un obſtacle invincible à l’heureux ſuccés de ſa paſſion, il n’eſtoit pas conſolable ; & tout ce que je luy pouvois dire, irritoit pluſtost ſa douleur, que de la diminuer.

Mais, Madame, ſa grande faveur faiſant ombre à Antaleon, ce Prince ambitieux qui vouloit s’emparer de la Couronne, traita en ſecret avec Arteſilas : à qui il promit de faire eſpouser la Princeſſe Palmis ſa Niece, s’il vouloit luy aider à ſe deffaire de Creſus & du Prince Myrſile. Cette conjuration fut ſi noire, que je ne puis me reſoudre de vous en aprendre les particularitez : & quand je ſonge qu’un Frere vouloit faire perir ſon Frere & ſon Neveu & qu’un Amant vouloit tremper ſes mains dans le ſang du Pere de ſa Maiſtresse pour la poſſeder : j’en conçoy tant d’horreur, qu’il