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fera plus chere mille & mille fois, que toutes celles qu’elle pourroit faire avec des Armées de cent mille hommes. C’eſt pourquoy Seigneur, adjoûta t’il, quand j’aurois fait croire à Cyleniſe que vous eſtes amoureux de la Princeſſe de Lydie, & qu’en ſuitte elle le luy auroit perſuadé, vous n’en ſeriez pas plus mal avec elle le m’aperçoy pourtant, dit Cleandre, qu’environ depuis le temps que vous dites avoir compote cette Fable, la Princeſſe me traite beaucoup plus froidement qu’elle n’avoit jamais fait. C’eſt ſigne, reſpondit Eſope, que vous eſtes beaucoup mieux dans ſon cœur que vous ne croyez : car ſi elle ne vous craignoit pas, & ſi elle ne ſe craignoit pas elle meſme, elle ne fuiroit pas un homme qu’elle eſtime extremement. Enfin Seigneur, dit-il en riant, croyez je vous prie, que m’eſtat donné la peine de connoiſtre avec tant de ſoing, juſques au naturel des Renards, des Tigres, des Ours, & des Lions, je ne ſuis pas abſolument ignorant en la phiſionomie des belles Perſonnes, qui ſont plus agreables à regarder que toutes ces belles ſauvages C’eſt pourquoy ſoyez aſſuré, que vous n’eſtes point haï : & que ma Fable ſera quelque jour auſſi juſte à la fin qu’au commencement. Quoy que Cleandre sçeuſt bien qu’Eſope eſtoit auſſi ſage que ſpirituel, neantmoins il n’eut jamais la force de luy advoüer qu’il aimoit la Princeſſe, il le pria donc ſeulement, de ne monſtrer cette Fable à perſonne : & de ne dire plus rien de ſes erreurs, de peur de les perſuader aux autres. Comme ils en eſtoient là, j’arrivay : & apres qu’Eſope fut parti, Cleandre me raconta leur converſation : & me dit qu’aſſurément il eſtoit la cauſe de la froideur que la Princeſſe avoit pour luy. Il euſt pourtant