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reprit Cleandre, qui voulut cacher ſes ſentimens, apres s’eſtre un peu remis) car je ne sçay pas déguiſer la verité agréablement comme vous ; & c’eſt pourquoy je n’aurois pas voulu dire un menſonge. Cependant Eſope, adjouſta t’il, ſi Cyleniſe vous avoit creû, & qu’elle euſt en ſuitte perſuadé voſtre erreur à la Princeſſe, en quel eſtat m’auriez vous reduit ? Mais Seigneur, reprit Eſope, ſi par haſard auſſi il eſtoit ; vray que vous fuſſiez amoureux de la Princeſſe Palmis ; que vous ne le luy euſſiez jamais dit ? & que vous ne le luy diſſiez jamais, ou en ſeriez vous ? & ne ſeriez vous pas bienheureux qu’Eſope euſt eu la hardieſſe de luy deſcouvrir ce que vous ne luy auriez jamais deſcouvert ? Nullement, luy repliqua Cleandre : car un homme inconnu comme je ſuis, & qui tient tout ſon éclat des ſeules mains de la Fortune, doit touſjours preſupposer que la Princeſſe Palmis croiroit qu’il ne la pourroit pas aimer, ſans luy faire un ſensible outrage. Croyez Seigneur, luy dit Eſope, que l’on n’outrage jamais gueres une belle Perſonne en l’aimant, de quelque condition qu’elle ſoit, & de quelque qualité que puiſſe eſtre celuy qui l’adore, pourveû qu’il ſe contente d’aimer. Mais, luy reſpondit Cleandre, Eſope de ſa propre confeſſion, n’a aimé qu’une eſclave : mais, luy repliqua t’il, Cleandre en aimant une Princeſſe, aime une belle Princeſſe : & qui dit belle. Seigneur, adjouſta t’il, dit aſſurément une Perſonne qui fait conſister ſon plus grand plaiſir à eſtre creuë telle, & reſpectée comme telle : Ouy, pourſuivit il, je ſoûtiens qu’une belle Reine, preferera touſjours un eſclave de ſa beauté, à tous les Subjets que ſa naiſſance luy aura donnez ; & qu’une conqueſte de ſes yeux luy