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par le veritable déplaiſir qu’il avoit de la mort de ce Prince, aprenant que c’eſtoit Adraſte qui l’avoit tué, s’avança vers luy l’Eſpée haute : Mais enfin voyant que tous ces Princes qui eſtoient plus intereſſez que luy en cette perte, ne faiſoient que ſe pleindre, il ne fit que le pleindre comme eux ; joint qu’à dire les choſes comme elles font, Adraſte eſtoit plus en eſtat de donner de la compaſſion que de la colere : car je n’ay jamais rien veû de ſi pitoyable. Il avoit ſur le viſage une douleur ſi furieuſe, & il y avoit en toutes ſes paroles tant de marques de deſespoir ; que l’on ne peut s’imaginer La choſe comme elle eſtoit. Enfin, Madame, il eſſaya diverſes fois de ſe tuer : & on fut contraint de luy oſter ſon Eſpée, & de le faire garder. L’on envoya advertir Creſus de cét accident : & nous ſuivismes tous le Chariot dans lequel on remporta le corps du Prince de Lydie. Jamais retour de chaſſe n’a eſté ſi triſte que celuy-là, & jamais accident n’a eſté ſi funeſte, ny ſi ſurprenant : auſſi Creſus en fut ſi affligé, que l’on ne peut l’eſtre davantage. Il appella à ſon ſecours, Jupiter l’Expiateur : il l’invoqua comme eſtant le Dieu de l’Amitié, & de l’Hoſpitalité, qu’Adraſte avoit violée. Comme au Dieu de l’Hoſpitalité, il ſe pleignit à luy d’avoir reçeu dans ſa Cour le meurtrier du Prince ſon Fils, en penſant y recevoir un Hoſte reconnoiſſant. Et comme au Dieu de l’Amitié, parce qu’il rencontroit ſon plus mortel ennemy en celuy à qui il avoit confié ſon Fils, & à qui il vouloit donner ſa Fille. La Princeſſe Anaxilée & la Princeſſe Palmis eſtoient auſſi dans une douleur extréme : cependant nous conduiſismes le Corps du Prince de Lydie à Sardis : & lors que Creſus le vit arriver dans la Cour de ſon Palais, ſuivy de ſon