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temps sans parler : puis reprenant la parole tout d’un coup ; Mais Artabane, luy dis-je, vistes vous Amestris dans le Temple ? non, me respondit-il, & je fus si troublé, lors que rencontrant Menaste parmy la presse, elle m’eut dit qu’Otane espousoit Amestris ; que je ne fus plus capable de curiosité, pour une chose que je ne pouvois plus empescher : & que j’eusse empeschée sans doute, si je l’eusse sçeüe quatte heures auparavant. Quoy donc, reprenois-je alors, il est donc bien vray qu’Amestris m’a toujours aimé ? Il est donc bien vray que Megabise n’a jamais esté favorisé d’elle ? & cependant il peut estre vray, que je ne sois pas heureux. Et comment Artabane, cela peut il estre possible ? Ha non, non, poursuivois-je, je ne le sçaurois comprendre : & puis qu’Amestris est fidelle, & que Megabise n’est point heureux ; il faut de necessité, que le cœur d’Aglatidas se trouve sensible à la joye. Mais helas, le moyen de songer qu’Amestris toute fidelle qu’elle est, ne sera jamais plus pour moy, sans mourir de douleur au mesme instant ? Non, non, j’aime mieux qu’elle soit inconstrante que fidelle : & ne pouvant jamais estre mienne, pourquoy trop cruelle Amestris, m’avez vous conservé vostre affection, pour m’en oster tous les effets, & pour me priver de vostre veüe ; de vostre entretien. & de vostre chere Personne ? C’est inhumaine Amestris, cacher un serpent sous des fleurs : c’est empoisonner vos presens : & c’est enfin estre barbare, en feignant d’estre pitoyable. Helas, qu’il m’eust bien mieux valu que vous ne vous fussiez pas justifiée, que de le faire par une voye si extraordinaire, & si cruelle ! Du moins en vous croyant inconstrante, je n’avois que mes propres malheurs à supporter : je vous croyois heureuse,