malheur, tout ce qui me pouvoit donner de l’inquietude, s’y assembla sans doute pour m’affliger : & pour me rendre le plus infortuné de tous les hommes. Anatise conduitte par mon mauvais destin, ayant fait dessein de se promener, avec quelques unes de ses Amies, choisit ce lieu là, parce qu’elle ne l’avoit jamais veû : & je le choisis en mon particulier, pour aller entretenir mes tristes pensées : à cause que je croyois estre fort assuré de n’y rencontrer ny Amestris ; ny Anatise ; ny rien qui me peust troubler dans mes resveries. Mais Seigneur, que je fus estranggement surpris, lors qu’entrant dans ce Jardin, je vy d’assez loin Amestris, qui se promenoit dans une Allée, avec sa chere Menaste ! & que je vy en mesme temps, Anatise au pied d’une Palissade, où elle s’estoit assise, qui faisoit un Bouquet des fleurs ; qu’elle avoit desja cueillies. Cette veuë que je n’attendois pas, me troubla, & me surprit de telle sorte, que je m’arrestay tout court : & ne sçachant si je devois aller vers celle que j’aimois, quoy qu’elle m’eust trahi ; ou vers celle qui m’aimoit, & que je trahissois ; je fus un moment dans une incertitude, que je ne vous puis exprimer. Mes pas accoustumez à me conduire vers Amestris, penserent m’y porter, quoy que je ne le voulusse point : & peu s’en falut, que ma jalousie ne se trouvast plus foible que mon amour : & que sans regarder Anatise, je n’allasse me jetter aux pieds d’Amestris. Mais enfin l’image du crime dont je pensois avoir esté le tesmoin, s’estant remise en mon souvenir ; je me determinay tout d’un coup : & je commençay d’aller vers Anatise. Je m’en approchay toutefois si lentement ; & je me fis une telle contrainte pour m’esloigner d’Amestris, & pour m’empescher
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