que parce qu’elle a voulu la luy donner. Si je voulois Seigneur, vous dire tout ce que je dis, ou tout ce que je pensay en cette occasion, je n’aurois pas finy mon recit à la fin de la nuit ; & j’abuserois trop de vostre patience & de vostre bonté. Je vous diray donc seulement, que je fis cent fois dessein de quitter Amestris ; de l’oublier, & de la mépriser : & cent fois aussi je m’en repentis. & me resolus de l’aimer eternellement malgré son crime. Il n’y avoit qu’une seule resolution constrante dans mon esprit, qui estoit celle de tuer Megabise, dés que je le trouverois : & il y avoit des momens, où je ne sçavois si je devois aimer ou haïr Amestris : mais où je sçavois tousjours bien que je devois perdre mon Rival.
Le jour ne fut donc pas plustost venu, & mes chevaux ne furent pas plustost arrivez à la porte de ce Jardin, que j’envoyay mon Escuyer, sçavoir si Megabise estoit chez luy, pour luy donner de mes nouvelles : mais pour mon malheur, il estoit party pour aller aux champs : sans que ses gens pussent dire, quelle route il avoit prise. Cette fascheuse rencontre augmenta de beaucoup mon desplaisir : & la pensée que l’entreveuë d’Amestris & de Megabise ne s’estoit faite en ce lieu là que pour se dire adieu ; redoubla encore mon desespoir. J’envoyay en suite pour voir si Menaste n’estoit point revenuë de la Campagne, afin de me pouvoir pleindre à elle, de l’infidelité de son Amie : nais je sçeu qu’elle y estoit tombée malade, & qu’elle n’en reviendroit pas si tost. Me voila donc le plus desesperé de tous les hommes : j’avois veû des choses qui ne me permettoient pas de douter de l’infidelité d’Amestris : je l’avois retrouvée plus belle, que je ne l’avois jamais veuë : du moins mon imagination me l’avoit