ay perdu la raison. Il n’en faut pas davantage, luy dis-je, pour me faire connoistre que vous l’estimez : mais je voudrois sçavoir si vostre cœur n’en est point esmeu : & si vous ne l’aimerez point assez, pour m’en haïr quelque jour. Je ne sçay pas l’advenir, me respondit-il, mais je sçay bien que presentement, je vous suis infiniment obligé de m’avoir donné la connoissance, d’une personne si aimable & si illustre. Je vous advoüe, Seigneur, que voyant avec quelle liberté d’esprit Arbate me parloit ; je creus que toutes les tesponses malicieuses qu’il me fit : n’estoient qu’un jeu pour se divertir, & pour se moquer de ma foiblesse. Si bien qu’en ayant honte moy mesme, je cessay de le tourmenter, & nous fusmes souper en repos. En effet, j’ay bien sçeu depuis, qu’Arbate quoy que puissamment touché de la beauté d’Amestris, ne croyoit pas encore se trouver forcé de s’engager à l’aimer : & que comme il avoit de la vertu, il resista sans doute autant qu’il pût ; & fit tous ses efforts, pour ne devenir pas Rival, de son Frere & de son Amy : Et d’un Amy encore, qui l’avoit choisi pour Confident de sa passion : & sans lequel il n’eust jamais vû Amestris. Il est donc à croire, que ce qu’il en a dit depuis à un de ses Amis & des miens, est veritable : & qu’il fit toutes choses possibles pour n’aimer pas Amestris.
Mais, Seigneur, que tous ses efforts furent inutiles ! & que l’amour fit un estrangge changement en luy ! Jusques là il m’avoit toujours paru le plus sincere, & le plus fidele de tous les hommes que j’avois connus : & il devint en un moment le plus fourbe de toute la Terre. Il fut donc quelques jours sans me parler non plus d’Amestris, que s’il ne l’eust jamais veuë : & il guerit si bien mon esprit