Je fus donc faire quelques visites chez d’autres Dames : non pas pour me divertir ; car il n’y avoit desja plus de divertissement pour moy, qu’aupres d’Amestris : mais avec intention de parler d’elle, sans crainte de me faire des Rivaux. Je fus donc chez les plus belles Personnes de toute la Cour, & de toute la Ville : & quoy que ce ne soit pas estre fort judicieux, que de loüer extraordinairement la beauté d’une autre, en parlant à une belle ; je le fis pourtant avec tant d’exageration, que je suis asseuré, que je m’en fis presque haïr, de toute celles que je vy ce jour là : & que de la façon dont j’en usay, il n’y eut plus qu’Amestris qui ne sçeust pas que j’estois amoureux d’elle. Je donnay de la jalousie à quelques unes ; de l’envie à d’autres ; & du moins de la curiosité aux plus sages. Le lendemain Hermaniste s’estant mieux portée, toute la Cour fut chez elle ; & je my rendis des premiers. Amestris s’estoit parée ce jour là : de sorte qu’elle me sembla encore si admirablement belle, que je m’estimay cent fois en ce moment, le plus heureux homme du monde, d’avoir l’honneur d’estre son Esclave. Elle me reçeut avec beaucoup de civilité : & me pria fort obligeamment, de vouloir prendre le soing de luy nommer les personnes qui viendroient chez elle : & de l’empescher de faire quelque faute considerable, l’advertissant de leur condition. Je vous laisse à penser, Seigneur, si je recensée commandement avec satisfaction & avec respect : & si je mesloignay d’elle de tout le jour. Je vous avouë que je le passay avec des sentimens bien differens : & que la joye & l’inquietude furent tousjours si bien meslées dans mon ame ; que je puis dire, que je ne sentis point de plaisir sans douleur, ny de douleur sans plaisir. Il est certain, comme je l’ay desja dit, que toute la Cour fut chez Hermaniste : & plus certain encore, que la beauté d’Amestris charma & surprit toute la Cour. Il n’entra pas un
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