la premiere conqueste, d’une beauté si extraordinaire. D’où vient donc ma melancolie ? (disois-je en moy-mesme, & me taisant comme si j’en eusse bien voulu examiner la cause) mais helas Seigneur, j’estois encore bien ignorant en amour ; & je ne sçavois pas sans doute, que la nature de cette passion, porte l’inquietude avec celle. Que les biens que l’on n’a pas, affligent : que ceux que l’on possede, ostent le repos : & que ceux que l’on a perdus, desesperent. J’ignorois que la douleur & le chagrin, sont inseparables de l’amour ; que l’on ne fait point de conquestes sans peine : que l’on ne les conserve pas sans travail ; & que l’on ne les sçauroit perdre, sans perdre la raison. Je ne fus pas toutefois longtemps dans cette ignorance : & je fis une espreuve si rude de cette dangereuse manie ; que j’ose dire, qu’il n’y a personne au monde, qui soit devenu si universellement sçavant en tous ses caprices. Apres avoir donc bien examiné ce que je sentois ; je conclus que j’estois sans doute amoureux : & que l’inquietude que j’avois, venoit aparemment de cette crainte, qui naist tousjours avec l’amour ; & qui fait que l’on aprehende de n’estre pas aimé de ce que l’on aime. En effet, quand je venois à penser, que peut-estre mes services ne seroient pas reçeus favorablement : ce mot de peut-estre me sembloit si funeste ; & cette incertitude si cruelle ; que j’en devenois presque furieux : & si j’eusse ose suivre la folie qui me possedoit ; j’eusse volontiers accusé Amestris de ce qu’elle ne songeoit pas desja, à recompenser une amour naissante, qu’elle ne sçavoit pas encore, & que j’ignorois moy mesme, quelques momens auparavant. Je vous demande pardon, Seigneur, si je vous raconte si particulierement,
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