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que ma propre douleur à suporter : & le seul déplaisir d’estre esloigné d’elle, faisoit toute mon inquietude. Cependant les Dieux sçavent quelle estoit ma peine ; & combien la privation de la veüe de ce que l’on cherit, est une chose insupportable. Mais helas ! je suis bien en un estat plus pitoyable : je sçay que ma Princesse est ou morte, ou entre les mains de quelqu’un qui la retient contre sa volonté : je sçay qu’elle est infailliblement, dans le Tombeau, ou dans la Prison : & qu’en quelque lieu qu’elle soit, elle souffre, & me pleint sans doute dans mon infortune. Encore, poursuivoit-il, si je pouvois rompre mes chaines avec honneur, j’irois chercher son Cercueil ou sa Prison : car la mer suivant sa coustume, aura rendu ce beau Corps, vivant ou mort. J’irois mourir aupres de l’un, ou la delivrer de l’autre : & j’aurois quelque consolation dans mon malheur : au lieu qu’il faut que j’expire dans les fers : & que malgré moy je souffre une accusation injuste, sans m’en oser justifier. Ce n’est pas que je ne parusse encore plus criminel à Ciaxare, comme amant de Mandane, que comme Amy du Roy d’Assirie : mais ce seroit un crime, où il n’y auroit rien de honteux pour Artamene : & qui au contraire, luy donneroit beaucoup de gloire. Apres tout, poursuivoit-il, celle de ma Princesse m’est encore plus considerable : & cette severe & scrupuleuse vertu, dont elle faisoit profession ; m’ayant toujours deffendu de donner le moindre tesmoignage de ma passion à personne ; mourons plustost mille fois, que d’en faire paroistre la moindre marque. Ce n’est pas, ô illustre Princesse, s’escrioit-il, que vous ayez eu raison de me faire cacher mon amour, comme une amour criminelle :