que le Roy de Pont faisoit venir, pour la payer à ses Soldats ; il fut couper chemin a ce Convoy. Si bien qu’ayant rencontré ces deux mille hommes, il les poussa dans un Vallon, environné de rochers inaccessibles, d’où ils ne se pouvoient sauver. Se voyant reduits en cét estat, ils consulterent sur ce qu’ils avoient à faire : & connurent clairement, que s’ils combattoient ils estoient perdus, & demeureroient inutiles au Roy leur Maistre. De sorte que pour essayer de se sauver, & de se tirer d’un si mauvais pas ; ils firent signe qu’ils vouloient parler : & envoyerent douze d’entr’eux vers Artamene, avec leurs Boucliers pleins d’or & d’argent : le priant de le recevoir pour leur rançon, & de les laisser passer. Artamene qui fait tousjours les choses de la façon la plus heroïque qu’elles se puissent faire ; leur dit qu’il leur donnoit la vie & la liberté : & qu’il vouloit mesme qu’ils remportassent leur or & leur argent, pourveû qu’ils laissassent les Boucliers dans lesquels il estoit, comme une marque de sa victoire. Mais ces Soldats braves & courageux, jettant par terre tout ce qui estoit dans ces Boucliers ; les remettant à leurs bras gauche ; & mettant leurs espées à la main droite ; vous verrez (luy dirent-ils en s’en retournant vers leurs Compagnons) que ceux de nostre Nation, ne laissent leurs Boucliers qu’avec la vie : & que peut-estre quelque inégalité qui soit entre nous, ne les aurez vous pas sans peril. Artamene voyant faire une action si heroïque à ces Soldats ; en fut si charmé, qu’il ne pût resister à la genereuse envie qu’il eut de ne les perdre pas & d’autant plus, qu’il voyoit qu’il eust emporté cét avantage sans gloire, parce qu’il l’eust remporté sans peine : & qu’en l’estat qu’estoient les choses, deux mille hommes de
Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/370
Cette page n’a pas encore été corrigée