qu’elle ait crû que cette Escharpe qui est si magnifique & si belle, me feroit encore plus aisément remarquer par mes Ennemis ? ou n’est ce point qu’elle ne m’en ait pas jugé digne ; & que son esprit adroit, ait voulu prendre un pretexte si obligeant pour me refuser, sans me donner sujet de pleinte ? Enfin est-ce pour Artamene ou contre Artamene qu’elle a agi ? me dois-je loüer d’elle, ou m’en dois-je plaindre ? faut il que je m’aflige, ou que je me resjoüisse ? & ne sçaurois-je connoistre les veritables sentimens de ma Princesse, afin de regler les miens ? Mais helas ! poursuivoit il, quels qu’ils puissent estre ils seront tousjours raisonnables ; & je n’auray pas sujet de la blasmer. Si elle m’a refusé, parce qu’elle a eu peur que cette Escharpe ne fust fatale à ma vie, c’est une bonté inconcevable : & si elle m’a refusé, comme ne me croyant pas de condition à obtenir une pareille faveur, elle ne fait point de tort à Cyrus, & n’offence guere Artamene. Mais Dieux, adjoustoit il ; si apres les services qu’Artamene a rendus, l’on refuse une Escharpe à Artamene, parce qu’il n’est qu’Artamene ; comment peut il esperer, qu’on luy accorde jamais, la permission de dire qu’il aime, & comment peut il esperer d’estre aimé ? Non non, disoit il, ne nous attachons point à ce cruel sentiment : interpretons le refus de la Princesse de l’autre maniere, qui nous est plus advantageuse : & croyons puis qu’elle nous l’a dit, & qu’elle nous l’a dit si obligeamment ; que c’est pour nous, qu’elle a agy contre nous. N’expliquons point ses paroles ; n’ayons pas l’audace de vouloir penetrer le secret de son cœur ; & laissons nous tromper agreablement, plustost que d’aller chercher une verité si fascheuse à sçavoir. Apres cela,
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