Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/85

Cette page n’a pas encore été corrigée

quelque avare qui en donnant peu, aimera mieux qu’un autre qui donnera beaucoup : mais quand meſme cela ſera vray, je ſoutiens que celuy qui donne avec peine, oſte tellement toute la grace de ſon preſent, qu’il n’eſt pas poſſible qu’on luy en ſoit obligé. Je sçay bien Madame, interrompit malicieuſement Doraliſe, qu’en cas d’amour celuy, qui n’eſt pas capable de donner tout ce qu’il poſſede, n’aime qu’imparfaitement : mais pour les Amis ordinaires, il me ſemble que je n’ay pas tort de dire, qu’il eſt juſte de tenir conte à un avare, de toute la peine qu’il à ſe reſoudre de faire quelque deſpense pour nous. Non non, repartit La Princeſſe, ne ſeparez point l’amour de l’amitié en cette rencontre : car celuy qui eſt un Amant avare, ne ſera jamais un Amy liberal. Mais (interrompit Mexaris malgré qu’il en euſt) s’il n’eſt pas beau à un Amant de n’aimer point à donner, eſt il beau à une Dame d’aimer qu’on luy donne ? nullement, reprit la Princeſſe, & je condamne eſgallement tous les deux : & meſme encore beaucoup plus la Dame que l’Amant. Je ſuis du ſentiment de la Princeſſe, reprit Doraliſe ; du moins, adjouſta Abradate, faut il que celuy qui aime, ſoit capable de tout donner : mais ſi cela eſt, reprit Mexaris, où mettrez vous les bornes de la prodigalité ? Je les mettray, repliqua Abradate, à donner ſans choix & ſans jugement : ce qui ne ſera pas, ſi je donne à une Perſonne que j’auray jugée digue de mon affection : car enfin qui donne ſon cœur, doit donner facilement tout le reſte, qui n’eſt pas ſi precieux. Ce n’eſt pas là noſtre diſpute, dit Doraliſe, & je ne pretends autre choſe, en faveur de ce pauvre avare que je deffends, ſinon que tout ce qu’il ſouffre