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Madame, luy dit elle, que quand nos Amis ne font pour nous que ce qu’ils feroient touſjours, quand meſme nous n’y aurions nul intereſt, nous ne douons pas conter cela pour le plus grand ſervice qu’ils nous puiſſent rendre ? & qu’au contraire, quand nous les obligeons de faire des choſes qui choquent toutes leurs inclinations, nous leur devons sçavoir plus de gré lors qu’ils s’y portent, que non pas à ceux qui ne font que des choſes qui leur plaiſent ? Cela eſtant ainſi, ne m’advoüerez vous pas, qu’un avare qui donne peu, comme je l’ay deſja dit, oblige plus qu’un liberal qui donne beaucoup, puis qu’il a autant de peine à donner, que l’autre y trouve de plaiſir ? En verité Doraliſe, dit la Princeſſe, puis que vous voulez bien eſtre interrompue, je ne sçaurois m’en empeſcher : car le moyen de ſouffrir que vous veüilliez que parce que celuy qui eſt mon Amy aura un vice effroyable, je luy sçache plus de gré du peu qu’il donne, que je n’en sçauray à celuy qui poſſede une vertu heroïque ? non non, Doraliſe, ne vous y trompez pas, cela ne ſeroit point equitable. Mais Madame, repliqua t’elle, que deviendra la recompence que vous devrez à ce pauvre avare, de toutes les peines qu’il endure, à faire ce peu qu’il fait ? Je ne ſoutiens pas, diſoit elle, que celuy qui donne avec beaucoup de difficulté, ſoit plus loüable que l’autre, car je n’ay pas perdu la raiſon : mais je ſoutiens que celuy qui regrette ce qu’il donne ; qui ne le peut donner ſans ſe déchirer le cœur, donne une plus grande preuve d’affection, que celuy qui par ſa propre generoſité ſeulement, eſt capable de faire meſme des preſens à ſes ennemis. Je vous advoüeray, dit la Princeſſe, qu’en certaines occaſions, ce que vous dittes peut eſtre : & qu’il n’eſt pas impoſſible qu’il ſe trouve