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de luy donner la Princeſſe ſa Fille. Mais que sçay— je, diſoit il en luy meſme, ſi cela empeſchera la Princeſſe de luy donner ſon cœur ? Touteſfois, reprenoit il ; puis qu’il ne peut jamais eſtre à moy ; que je n’ay pas meſme l’audace de le demander ; que m’importe qu’il ſoit à Abradate ? au contraire, ne dois-je pas ſouhaiter que Panthée ſoit heureuſe en toutes choſes ? & ne dois-je pas deſirer, que ſi elle a à eſpouser quelqu’un, ce ſoit un Prince qui l’aime & qu’elle puiſſe aimer ? Ouy ſans doute je le dois, ſi je me conſidere comme ayant l’honneur d’eſtre au Prince ſon Pere, & comme l’honnorant infiniment : mais ſi je me regarde comme ce malheureux Perinthe, qui l’a aimée dés le Berçeau, & qui l’aimera juſques à la mort, je ne puis m’empeſcher de ſouhaiter que du moins elle n’aime jamais rien. Oppoſons nous donc, diſoit il, à tous les deſſeins d’Abradate : & favoriſons ceux de Mexaris, que je sçay bien qu’elle n’aimera jamais. Employons tout le credit que nous avons aupres du Prince ſon Pere pour cela : & n’oublions rien de tout ce qui nous peut empeſcher d’avoir le deſplaisir de voir un Rival dans le cœur de Panthée. Mais, reprenoit il, sçay-je bien que je veux ce que je dis ? non, adjouſtoit il un moment apres, je ne le sçay pas encore : & je ſens dans mon ame tant de mouvemens differens, que je ne sçay plus diſcerner ce que ma paſſion m’inſpire, de ce que ma raiſon me conſeille. Helas, pourſuivoit il encore (car il m’a raconté juſques à ſes moindres penſées) puis-je croire que j’ay de la raiſon ; moy, dis — ie, qui n’ay pû bannir de mon cœur la plus temeraire paſſion, que jamais perſonne ait euë ? & qui bien loin de m’oppoſer à elle, l’ay nourrie ; l’ay flattée ; & l’ay accreuë, autant qu’il m’a eſté poſſible ?