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ay veû tout aujourd’huy ſi reſveur, que je ne penſe pas qu’une autre paſſion que l’amour, ait pû changer ſi fort ſon humeur. Mexaris adjouſta, qu’il luy avoit veû prononcer quelques paroles tout bas & tout ſeul : un autre qu’il ne luy avoit point reſpondu, une fois qu’il luy avoit parlé ; un autre encore qu’il avoit rencontré trois ou quatre fois ſes y eux, ſans qu’aſſurément il l’euſt veû, quelques ſignes qu’il luy euſt faits : enfin il n’y eut perſonne dans la Conpagnie, qui pour luy faire la guerre, ſoit qu’il fuſt vray ou faux, ne raportaſt quelque choſe contre luy, qui donnoit lieu de croire qu’il eſtoit amoureux : ſi bien que Perinthe vit ſes Rivaux employer tout leur eſprit, pour le perſuader à la Princeſſe qu’il aimoit. Il n’en eſtoit pourtant pas plus heureux : au contraire, cette converſation luy donna un ſi grand chagrin, qu’il m’a dit depuis qu’il s’eſt eſtonné cent & cent fois, comment il ne donna point quelques marques convainquantes de la paſſion qu’il avoit dans l’ame. Il ſe deffendit neantmoins à la fin avec aſſez d’adreſſe : & le reſte du jour ſa paſſa de cette ſorte. Mais apres que nous fuſmes retournez à Sardis, ces trois Amans de Panthée eurent des ſentimens bien differens les uns des autres : car Abradate avoit quelque joye, de voir que la Princeſſe ſembloit avoir pris quelque plaiſir à tout ce qu’il avoit fait : Mexaris eſtoit au deſespoir de la liberalité d’Abradate : & de voir malgré qu’il en euſt, qu’il s’eſtoit mieux aquité que luy de ce qu’il avoit entrepris : mais pour le pauvre Perinthe, il eſtoit dans une douleur inconcevable, de voir qu’Abradate eſtoit auſſi honneſte homme qu’il le trouvoit. Il y avoit pourtant touſjours quelques inſtants, où il eſperoit que l’eſtat de ſa fortune empeſcheroit le Prince de Claſomene