enfin à ſauver ſa perſonne, pour ſauver ſon Année. Ce ne fut pourtant qu’à l’extremité qu’il prit cette reſolution, & qu’apres s’eſtre veû plus d’une fois en danger d’eſtre pris ou tué, tant il avoit de peine à ſe retirer devant ſes Ennemis, luy qui n’en avoit jamais rencontré qu’il n’euſt batus. Tous ceux à qui la frayeur oſta le jugement, ne purent s’empeſcher de fuïr juſques au pied de la hauteur oû la ſeconde ligne s’eſtoit poſtée, auſſi bien que l’Aiſle gauche de la premiere, l’lnfanterie de la bataille, & le corps de reſerve. Mais ceux à qui le peril ne fit pas perdre la raiſon, s’arreſterent à un endroit de la plaine où un petit rideau les couvroit en quelque ſorte : Cyrus qui dans cette faſcheuſe rencontre, avoit l’eſprit auſſi libre que s’il n’euſt pas eſté en peril, voyant quelques uns des ſiens qui avoient fait alte, commença de les r’allier ; & il le fit avec tant de courage. & ſi à propos, que tournant teſte aux Ennemis, non ſeulement il les arreſta tout court, mais il les repouſſa vigoureuſement, & les força de ſe retirer ſur l’eminence que les gens de Cyrus avoient quittée, & qui eſtoit oppoſée à celle où ils eſtoient poſtez. Apres que Cyrus eut fait cette genereuſe action, & qu’il eut rejoint les Rois d’Aſſirie, de Phrigie, d’Hircanie, & tous les autres Princes qui eſtoient à cette Armée, il reſolut abſolument de donner Bataille, & de ne changer rien au premier ordre qu’il avoit donné, comme en effet il n’y eut point d’autre chargement, ſinon que la premiere Ligne de l’Aiſle droite devint ſeconde ligne ; Cyrus ne jugeant pas qu’elle fuſt aſſez bien remiſe de l’effroy dont elle avoit eſté capable, pour l’expoſer au premier choc du combat. Ce n’eſt pas que ce ne fuſt une choſe auſſi dangereſe que hardie, de vouloir
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