encore que le corps de la Bataille des Ennemis eſtoit ſi judicieuſement poſté qu’il ne l’euſt pû eſtre mieux : car enfin il eſtoit dans de petits bois, que la Nature avoit tellement retranchez, que l’Art ne l’euſt pas ſi bien fait : & pour l’Aiſle gauche, comme elle eſtoit ſur une eminence, où pour y aller il faloit paſſer pluſieurs défilez, il y auroit eu beaucoup d’imprudence d’en concevoir le deſſein : principalement l’Armée de Creſus eſtant beaucoup plus nombreuſe que celle de Cyrus. Le Roy de Lydie, avoit pourtant eſperé que Cyrus feroit ce qu’il avoit fait auprès d’Anaxate, & en Aſſirie ; & qu’ainſi ne hazardant rien, & Cyrus hazardant tout, il pourroit remporter la victoire. Mais comme la prudence conſiſte principalement à changer de ſentimens ſelon les occurrences, Cyrus qui avoit tout hazardé pour delivrer Mandane en Armenie, où il le pouvoit faire ſans choquer la raiſon, ne voulut pas faire la meſme choſe en Lydie, où il ne pouvoit ſans s’expoſer à perdre & Mandane, & la victoire. Il fit pourtant tout ce qui fut en ſon pouvoir, pour taſcher de faire quitter à Creſus le Poſte qu’il occupoit, & pour l’obliger à combatre : & l’on peut dire que tout ce que l’Art militaire enſeigne pour forcer des Ennemis à faire plus qu’ils ne veulent, fut employé inutilement en cette occaſion : de ſorte que tout ce jour là, les deux Armées furent en de continuelles eſcarmouches, ſans que Cyrus puſt jamais engager les Ennemis à un Combat general. Cependant le lieu où il eſtoit campé eſtoit extrémement incommode : car comme les Ennemis eſtoient Maiſtres de la petite Riviere qui paſſoit aupres de Thybarra, on ne sçavoit où mener boire les chevaux de ſon Armée, ny meſme où trouver du fourrage. Cyrus ſe reſolvant
Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/644
Cette page n’a pas encore été corrigée