le favoriſer : eſtant certain que je n’aimerois pas à eſtre moins rigoureuſe qu’une autre, & à accepter ce que cette autre auroit refuſé. Et ſi elle avoit eſte rigoureuſe par caprice & par extravagance, reprit Mexaris, pourquoy faudroit il en traiter mal ce malheureux Amant ? parce, repliqua Doraliſe en riant, qu’un homme qui aura eſté amoureux d’une capricieuſe & d’une extravagante comme vous le dittes, ne me ſera pas grand honneur de porter mes fers. Enfin (pourſuivit elle, ſans luy donner loiſir de l’interrompre) ſoit qu’il ait aimé une perſonne rigoureuſe ou douce ; qu’il ait eſté bien ou mal reçeu ; qu’il ait trahi celle qu’il aimoit, ou qu’on l’ait abandonné : je trouve que de quelque façon que je regarde la choſe, il ne faut point aimer celuy qui a deſja aimé. S’il a eſté mal-traitté, c’eſt un exemple qu’il faut ſuivre, & le mal-traitter auſſi : s’il a eſté favoriſé, il faut croire que puis que les faveurs d’une autre ne l’ont pû retenir, les noſtres ne le retiendroient pas. S’il a trahi ſa Maiſtresse, il ne s’y faut pas fier : ſi c’eſt elle qui l’ait abandonné, il eſt à croire qu’il s’en eſt rendu digne par quelque crime ſecret que nous ne sçavons pas : ou que du moins il eſt à craindre qu’il ne ſe confiaſt jamais, & qu’il ne fuſt ou bizarre, ou jaloux. De plus, ſi celle qu’il a aimée eſt belle, il ne s’y faut pas aſſurer puis qu’il la quitte : & ſi elle ne l’eſt point, il faut croire qu’il a le gouſt ſi mauvais, que nous devions craindre qu’il ne nous quitte auſſi pour une autre qui ne nous vaudra pas. C’eſt pourquoy je trouve que s’il faut ſouffrir d’eſtre aimée, il faut que ce ſoit d’un cœur, tout entier, & non pas de ces cœurs que mille fleſches ont traverſez : il faut, dis-je, que ce ſoit d’un cœur qui ſente la moindre bleſſure qu’on luy face, & qui ne le ſoit pas
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