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moy, j’ay lieu de craindre qu’on ne me quitte apres pour une autre que cét Amant ne connoiſt pas encore, & qu’il connoiſtra peut— eſtre quelque jour. Mais eſtes vous plus aſſurée de la fidelité d’un homme qui n’aura jamais aimé que vous ? repliqua Mexaris : il n’aura du moins pas donné un ſi mauvais exemple, reprit Abradate ; & il y aura plus de lieu d’eſperer que ſa premiere paſſion ſera conſtante, qu’il n’y en aura de croire qu’un autre qui en aura eu pluſieurs deviendra conſtant. Il n’en faut pas douter, pourſuivit Doraliſe, mais le mal eſt pour moy que je n’ay point encore trouvé d’homme de ma condition, qui fuſt tel que je le veux, ſans avoir aimé, & qui m’aimaſt : car pour ces gens qui uſent autant de chaines que d’habillemens, & qui font deux ou trois Sacrifices d’une meſme Victime, en offrant un meſme cœur à deux ou trois perſonnes l’une apres l’autre, je ne les sçaurois ſouffrir : & je les mal traitteray toute ma vie, je les trouve fort honneſtes gens, adjouſta t’elle, pour eſtre mes Amis : mais je n’en voudrois point pour eſtre mes Amants, quand meſme je ſerois d’humeur à en vouloir. Car en fin je ne sçaurois croire, qu’eſtant capable de paſſer de l’amour de la blonde à la brune ; & de celle de la brune à la blonde ; il puiſſe y avoir de fermeté dans un cœur. Mais, luy dit Mexaris, quand on rencontre une fierté que rien ne peut adoucir, il faut bien taſcher de ſe guerir du mal que l’on ſouffre : & s’il arrive que l’on gueriſſe, & que l’on aime une autre perſonne, pourquoy eſt ce une raiſon de ſoubçonner d’inconſtance un homme qui n’auroit point changé, ſi on l’euſt traitté plus favorablement ? Si ce n’en eſt pas une, repliqua Doraliſe, de le ſoubçonner d’inconſtance, ce n’en eſt pas auſſi une de