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s’eſtoit faite le matin, dont la Princeſſe Panthée ne parla point, parce que cela avoit donné ſujet à Abradate de luy deſcouvrir ſon amour : de ſorte que voulant la deſtourner, elle ſe mit à parler à Doraliſe, de choſes fort eſloignées. Mais inſensiblement, paſſant d’un diſcours à un autre, quelqu’un ſe mit à faire la guerre à Doraliſe de l’injuſtice qu’elle avoit, de vouloir que la Nature fiſt un miracle en ſa faveur, en faiſant un homme fort accomply, ſans le ſecours de l’amour. Quelques uns luy demanderent ſi elle n’avoit point changé d’humeur : & ſi c’eſtoit un ſi grand crime que d’avoir aimé devant meſme qu’on la connuſt ? Comme Mexaris avoit autrefois eſté amoureux d’une autre que de la Princeſſe, il ſe mit à diſputer contre Doraliſe, comme ſoutenant ſa propre cauſe : & comme Abradate ne l’avoit jamais eſté, il apuyoit ſes raiſons, lors qu’elle diſoit qu’elle ne recevroit jamais de cœur qui euſt bruſlé d’autres flames que des ſiennes. Perinthe qui eſtoit meſlé parmy la preſſe, eſcoutoit ce que diſoient ſes Rivaux, & taſchoit de deviner ce que penſoit la Princeſſe : mais encore, diſoit Mexaris à Doraliſe, quelle bonne raiſon avez vous à donner, d’avoir meſprisé tant d’honneſtes gens, ſeulement parce qu’ils avoient aimé quelque autre devant vous ? j’en ay un ſi grand nombre, repliqua t’elle, que je ne sçay quel ordre y donner pour vous les dire : & c’eſt ſans doute la ſeule difficulté que j’ay à vous reſpondre. je ne penſe pourtant pas, reprit Mexaris, qu’il vous ſoit aiſé, quelque eſprit que vous ayez, de bien ſoutenir voſtre erreur : car enfin que vous importe tout ce qui s’eſt paſſé quand on ne vous connoiſſoit point ? c’eſt par le paſſé, reprit elle, que je juge de l’advenir : car puis qu’on en quitte une autre pour