Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/577

Cette page n’a pas encore été corrigée

hardy pour me dire des choſes qu’il ne devroit pas meſme penſer. Au reſte, ne jugez pas s’il vous plaiſt, de ma colere par le peu d’aigreur que vous trouvez en mes paroles : car ſi je ſuivois mon inclination je vous dirois les choſes du monde les plus eſtranges. Mais comme vous pourriez vous imaginer, que la grandeur de ma colere, ſeroit une marque de la grandeur de l’affection que j’ay euë, ou que j’aurois encore pour vous : je veux vous faire voir, qu’ayant aſſez de pouvoir ſur moy, pour eſtre Maiſtreſſe abſoluë d’une paſſion, qui a accouſtumé d’eſtre fort difficile à retenir dans les bornes de la raiſon ; je sçaurois facilement en vaincre une autre plus douce, quand j’en aurois eſté capable. Beleſis voulut encore dire quelque choſe du Portrait de Leoniſe, & d’Hermogene auſſi ; mais à la fin la patience de Cleodore s’eſchapa, & il falut qu’il s’en allaſt.

Il ne fut pas pluſtoſt ſorty de la Chambre de Cleodore, qu’il fut pour chercher quelque conſolation à celle de Leoniſe : voulant auſſi la prevenir de peur que Cleodore ne luy rendiſt quelque mauvais office. Mais comme il arriva à deux pas de la porte, une Fille qui eſtoit à elle luy dit qu’on ne voyoit point ſa Maiſtreſſe : touteſfois comme il y avoit long temps qu’il avoit aporté ſoin à ſe la rendre favorable, il fit ſi bien, qu’il luy perſuada de laiſſer la porte ouverte, afin qu’il pûſt dire eſtre entré ſans AVOIr parlé à perſonne : & qu’ainſi elle en fuſt quitte à meilleur marché. Et en effet cette Fille rentrant dans la Chambre de Leoniſe, par une porte dégagée, fit ce que Beleſis ſouhaitoit : de ſorte qu’eſtant allé un moment apres cette Fille, & eſtant entré ſans reſiſtance, il fut au chevet du lict de Leoniſe, ſans que deux ou trois Femmes qui eſtoient à un coſté de la Chambre à