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que vous ne vous en vangeriez ſans moy. Leoniſe entendant parler Cleodore comme elle faiſoit, ne sçavoit que penſer : & n’avoit pas la force de douter de ſes paroles, tant elle trouvoit de vray ſemblance à tout ce qu’elle luy diſoit. De ſorte que la colere d’avoir eſté trompée par Beleſis, s’empara ſi puiſſamment de ſon eſprit, qu’elle n’en eut preſques point pour Cleodore, & qu’elle luy pardonna ſans peine. En ſuitte dequoy, la voulant irriter contre Beleſis, elle luy raconta avec exageration, tout ce qu’il luy avoit dit de plus paſſionné, & de plus obligeant : mais comme elle avoit trop de douleur pour avoir ſon jugement abſolument libre, en voulant irriter Cleodore, elle luy dit pourtant une choſe qui penſa un peu l’adoucir. Car comme elle luy diſoit combien elle avoit creu fortement que Beleſis l’aimoit : je connois pourtant, luy dit elle, que j’avois tort de n’entrer pas en ſoupçon, un jour que je le preſſay de remettre entre mes mains voſtre Portrait & toutes les Lettres qu’il avoit de vous : mais le meſchant qu’il eſt, adjouſta t’elle, me fit paſſer le refus qu’il m’en fit, pour un effet de ſa diſcretion & de ſa vertu ; & je luy en sçeus ſi bon gré, que le luy accorday plus de graces ce jour là, qu’il n’en avoit eu de puis que je le connoiſſois.

Voila donc Seigneur, comment la pauvre Leoniſe ſeconda admirablement le deſſein qu’avoit Cleodore, de ſe vanger de Beleſis : elle ne fut pourtant pas marrie qu’il euſt eu ce reſpect là pour elle, de ne donner pas ſes Lettres à Leoniſe : mais il eſtoit ſi criminel d’ailleurs, que cela ne la fit pas changer d’avis : & elle le regarda comme un homme qui naturellement eſtoit diſcret, mais qui ne faiſoit pas d’eſtre inconſtant. Elle ſe mit donc a flatter Leoniſe, & à la confirmer puiſſamment