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plus à voſtre memoire. Cependant Beleſis ſe trouva bien embarraſſé : car encore qu’il ne creûſt pas que Cleodore sçeuſt que le Portrait de Leoniſe fuſt dans cette Boiſte auſſi bien que le ſien, il ne laiſſoit pas de voir que ſi elle demeuroit dans ſes mains elle le verroit. Ce n’eſt pas qu’elle ne fuſt faire de façon, qu’il y avoit quelque peine à ceux qui ne sçavoient pas la choſe, de s’aperçevoir qu’elle s’ouvroit des deux coſtez : mais apres tout, il jugeoit que Cleodore eſtant ſoupçonneuſe & adroite, s’en aperçevroit aiſément, ſi elle avoit le loiſir de la conſiderer. C’eſt pourquoy prenant un biais qu’il creut aſſez fin, il ſe mit à la conjurer inſtamment, de luy vouloir rendre ſon Portrait ; n’oſant pas avoir recours à la force, contre une Perſonne à qui il devoit tant de reſpect. Je ne sçay touteſfois s’il auroit pû en avoir pour Cleodore en cette occaſion : ſi ce n’euſt eſté que malicieuſement ſans qu’il y priſt garde, tant il ſongeoit à ce qu’il luy vouloit dire, elle ne l’euſt remené vers la Compagnie, dont ils n’eſtoient pas fort eſloignez. Mais Madame, luy diſoit il, vous m’avez demandé voſtre Portrait, pour regarder s’il eſtoit plus beau que vous, que ne le regardez vous donc, afin de vous rendre juſtice, & de me le rendre tout à l’heure ? Je le regarderay, dit elle, quand je ſeray dans ma Chambre aupres de mon Miroir : mais comment penſez vous, luy dit il encore, que je puiſſe paſſer le reſte du jour ſans l’avoir ? Puis que vous voyez la Perſonne que vous aimez (reprit elle avec un ſous-rire plus malicieux qu’il ne le croyoit) vous ne devez pas regretter de ne voir point ſa Peinture. Promettez moy donc, repliqua t’il, que vous me la rendrez devant que nous nous ſeparions : je vous la rendray peut-eſtre demain, dit elle ; du moins