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pour tout ce qui n’eſt point Or ; commença de faire eſclatter la ſienne : il eſt vray que ce fut d’une maniere bien differente de celle de ſon Rival : auſſi peut on dire que jamais deux Princes n’ont eſté plus oppoſez en toutes choſes que ces deux là l’eſtoient. Car Madame, en l’eſtat qu’eſtoit alors la fortune d’Abradate, il y avoit grande aparence qu’il ſeroit contraint de paſſer toute ſa vie exilé, ſans autre bien que ſa propre vertu : n’ayant alors autre ſubsistance, que celle que la Reine ſa Mere luy donnoit ſecrettement, ou celle que luy pouvoit donner Creſus. Pour Mexaris, il n’en eſtoit pas de meſme : car il avoit une richeſſe qui ne ce doit preſques pas à celle du Roy ſon Frere : mais ſi leurs fortunes eſtoient differentes, leurs inclinations l’eſtoient encore plus : parce que l’avarice eſtoit celle qui regloit toutes les actions de Mexaris, & que la liberalité eſtoit la vertu dominante de l’ame d’Abradate. En effet, je ne penſe pas que ce Prince ſoit plus brave qu’il eſt liberal, quoy qu’il le ſoit autant qu’on le peut eſtre : Mexaris au contraire eſtoit avare en toutes choſes : s’il faiſoit baſtir, il y avoit touſjours quelque eſpargne peu judicieuſe, qui gaſtoit tout le reſte de la deſpence qu’il avoit faite : s’il donnoit, c’eſtoit tard ; c’eſtoit peu ; & c’eſtoit encore de mauvaiſe grace & avec chagrin. Son train eſtoit aſſez grand, mais mal entretenu : ſa Table eſtoit petite & mauvaiſe, pour un ſi Grand Prince : & deſguisant ſon avarice d’un foible pretexte, il n’avoit preſques jamais que des habillemens tous ſimples : diſant qu’il y avoit de la folie à ſe faire conſiderer par cette ſorte de deſpense. S’il joüoit, il joüoit ſeulement pour gagner, & non pas pour ſon divertiſſement : & de la façon dont il s’affligeoit quand il avoit perdu, on voyoit que c’eſtoit pluſtost un conmerce qu’un jeu. Enfin il paroiſſoit en toutes ſes actions, & meſme quelquefois en toutes ſes paroles, qu’il