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luy refuſoit la ſeule choſe qui pouvoit luy ſervir aupres de Cleodore, qu’il vient me raconter tout ce qui luy eſtoit arrivé : m’exagerant l’injuſtice du refus que Beleſis luy avoit fait, avec des paroles qui me firent aiſement connoiſtre la grandeur de ſa paſſion. Mais afin que je n’ignoraſſe rien de ce qui les regardoit, le lendemain au matin Beleſis sçachant que j’eſtois leur Amy commun, vint auſſi me dire tout ce qui luy eſtoit advenu, & me prier de faire tout ce que je pourrois, pour empeſcher Hermogene d’aller aprendre à Cleodore qu’il la trompoit : de ſorte qu’eſtant le confident de tous les deux, & leur eſtant fidelle à l’un & à l’autre, je me ſervois de la connoiſſance que j’avois de leurs veritables ſentimens, pour empeſcher qu’ils ne ſe broüillaſſent : taſchant de meſnager leur eſprit, & de faire qu’ils ne ſe pleigniſſent, du moins l’un de l’autre qu’avec civilité. La choſe n’en pût pourtant pas demeurer en ces termes là comme vous le sçaurez bientoſt : cependant Beleſis ne ſe trouva pas peu embarraſſé, lors qu’il fut chez la Tante de Cleodore & de Leoniſe : car lors qu’il ne parloit point à cette derniere, il n’eſtoit pas content : & lors qu’il voyoit Hermogene parler à Cleodore, il ne pouvoit l’endurer : s’imaginant touſjours qu’il alloit luy deſcouvrir ſon inconſtance, malgré toutes ſes prieres. Si bien que pour differer du moins ce malheur qu’il aprehendoit, ſans sçavoir pourtant preciſément pourquoy il le craignoit ſi fort ; il quittoit quelquefois Leoniſe, & alloit interrompre Hermogene & Cleodore, & ſe meſler dans leur converſation : pretextant la choſe aupres de Leoniſe le mieux qu’il pouvoit. Cleodore de ſon coſté, voyant que Beleſis eſtoit ſi interdit & ſi inquiet, & qu’il parloit pourtant plus à elle qu’il n’avoit accouſtumé