Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/544

Cette page n’a pas encore été corrigée

de voir Cleodore ſans luy rien dire, que d’aller luy aprendre ce qu’elle ne sçaura que trop toſt. Non non, luy dit Hermogene, vous ne comprenez pas le ſens de mes paroles : & pour vous l’expliquer, pourſuivit il, sçachez cruel Amy que vous eſtes, qu’en vous deſchargeant des fers que la belle Cleodore vous faiſoit porter, vous m’en avez accablé : & qu’enfin vous n’avez jamais tant aimé cette belle Perſonne que je l’aime : puis que je ne la quiterois pas pour mille Leoniſes comme la voſtre. Quoy Hermogene (reprit Beleſis avec precipitation, & avec eſtonnement) vous aimez Cleodore ! ouy, repliqua t’il, je l’aime : & je loüe les Dieux de ce que vous ne l’aimez plus, & de ce que vous eſtes en eſtat de me pleindre & de m’accorder la permiſſion que je vous demande. Beleſis voyant qu’Hermogene parloit ſerieuſement, n’eut pas lieu de douter de la verité de ſes paroles : mais ce qu’il y eut d’eſtrange, fut qu’il en parut ſi ſurpris, qu’il fut quelque temps à ſe promener ſans parler : de ſorte qu’Hermogene s’eſtonnant de le voir ſi interdit, continua de le preſſer de luy permettre de faire sçavoir ſon inconſtance à Cleodore. Car enfin, luy dit il, ſi vous faites cét effort ſur vous meſme en ma faveur, vous y gagnerez auſſi bien que moy : puis que Cleodore ne pretendant plus rien à voſtre affection, ne vous tourmentera pas comme elle fait. Si ſon affection, reprit il, ne me tourmentoit plus, ſa haine me tourmenteroit : c’eſt pourquoy je vous prie de ne luy dire jamais poſitivement que je ne l’aime plus. Il en rejaliroit meſme quelque choſe ſur Leoniſe, adjouſta Belens : ainſi vous augmenteriez mes malheurs, ſans diminuer les voſtres : car je ne voy pas quel avantage vous pourriez tirer, quand Cleodore sçauroit avec