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qui luy aprenoient que ſon Pere eſtoit malade : une autre fois il diſoit ſe trouver mal luy meſme : & quelque fois auſſi ne trouvant rien à dire, il mettoit la pauvre Cleodore en une peine eſtrange. Car comme elle aimoit effectivement Beleſis, & qu’elle voyoit qu’elle avoit penſé le perdre par un petit caprice, elle contraignit ſi. bien ſon humeur, qu’elle ne luy donna plus ſujet de pleinte : de ſorte qu’il en avoit alors autant de deſpit, qu’il en avoit eu autrefois, quand elle luy en avoit donné.

Les choſes eſtant donc en ces termes, Hermogene chez qui logeoit Beleſis, remarqua qu’il n’eſtoit plus ſi ſoigneux des Lettres qu’il recevoit de Cleodore, qu’il j’avoit touſjours eſté depuis qu’il l’aimoit : car il en trouva deux on trois fois ſur la Table : luy qui auparavant ſon inconſtance, ne pouvoit pas ſeulement ſouffrir qu’elles partiſſent de ſes mains lors qu’il les luy montroit : car pour l’ordinaire, il ne vouloit pas qu’Hermogene les l’eûſt, & il les luy liſoit luy meſme. De plus, il luy rendit auſſi le Portrait de cette belle Fille qu’il avoit laiſſé tomber, mais il ne luy rendit qu’apres l’avoir gardé trois jours, ſans que Beleſis ſe fuſt aperçeu de l’avoir perdu, ce qui eſtoit bien contre ſa couſtume : eſtant certain que du temps qu’il aimoit Cleodore, il ne pouvoit eſtre un quart d’heure eſloigné d’elle (quand il eſtoit en liberté) ſans le regarder. Ce qui embarraſſoit eſtrangement Hermogene, eſtoit qu’il voyait que Cleodore navoit jamais ſi bien traité Beleſis qu’elle le traitoit : & que cependant Beleſis eſtoit plus chagrin qu’il ne l’avoit jamais veû, dans le temps où elle luy eſtoit la plus rigoureuſe. Eſtant donc aſſez en inquietude de sçavoir la cauſe d’un ſi grand changement en l’humeur de ſon Amy, il fut un matin le trouver