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temps pour l’apaiſer. Il luy dit ſimplement les choſes qui le devoient juſtifier, ſans y joindre ny prieres, ny conjurations, ny ſoupirs : mais comme Cleodore n’eſtoit pas accouſtummée de le voir ainſi, bien loin de recevoir ſes juſtifications, elle l’accuſa encore de la froideur avec laquelle il ſe juſtifioit : ſi bien que ce qui n’eſtoit qu’une petite querelle, en devint une tres conſiderable : & ils ſe ſeparerent ſi mal, que Beleſis fut pluſieurs jours ſans oſer aller chez Cleodore, & peut eſtre auſſi ſans le vouloir.

Pendant ce temps là, le hazard voulut qu’il ne laiſſaſt pas de voir Leoniſe, & de luy parler diverſes fois : de ſorte que l’Amour qui avoit reſolu de faire plus ſouffrir Beleſis que tous les hommes qui ont reconnu la puiſſance n’ont jamais ſouffert, fit que la douceur de cette Fille, qui ſans doute avoit deſja un peu touché, ſon cœur, le charma abſolument. L’on peut touteſfois dire, pour excuſer Beleſis, que le deſpit qu’il avoit de voir qu’il ne pouvoit jamais jouïr : en repos de l’affection de Cleodore, ne fut pas une des moindres cauſes de l’amour qu’il eut pour Leoniſe : quoy qu’il en ſoit, il eſt certain qu’il l’aima : & qu’à meſure que ſa paſſion augmenta pour elle, elle diminua pour Cleodore. Au commencement il ne creut pas aimer Leoniſe, & il s’imagina ſeulement qu’il eſtoit irrité contre Cleodore : mais inſenſiblement il vint à craindre que Cleodore s’apaiſaſt : & qu’il ne fuſt obligé de la revoir comme ſon Amant. Il ſe trouva pourtant bien embarraſſé à determiner ce qu’il vouloit : car s’il ne ſe racommodoit point avec Cleodore, il voyoit qu’il n’oſeroit plus aller chez elle, & que par conſequent il ne verroit point Leoniſe, ou au moins ne la verroit guere. Il conſideroit auſſi, que s’il ſe racommodoit avec elle, il ne luy ſeroit