Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/497

Cette page n’a pas encore été corrigée

gens du monde : tant il eſt vray que j’ay l’eſprit delicat, & que je ſuis incapable de cette eſpece de complaiſance, qui en mille ans ne me donneroit pas un veritable Amy. Il eſt vray, dit Leoniſe, que j’ay peut-eſtre moins d’Amis que vous : mais auſſi puis-je peut-eſte me vanter d’avoir moins d’Ennemis : car combien penſez vous qu’il y a de gens qui trouvent que vous avez l’eſprit trop particulier & trop miſterieux ? Combien en avez vous deſobligé en ne leur parlant point, ou en parlant trop à d’autres qui vous plaiſoient plus qu’eux ? Je n’ignore pas ce que vous dittes, reprit Cleodore, mais sçachez s’il Vous plaiſt, qu’à une Perſonne de mon humeur, le meſpris ou la haine de certaines gens ne touche guere. Car enfin depuis que je ſuis dans le monde, je m’en ſuis fait un à part, au delà duquel je ne prens intereſt à rien : c’eſt pourquoy je ne me ſoucie point du tout de l’eſtime de ceux qui n’en ſont pas. Quand j’ay commence de regler ma vie, je me ſuis reſoluë à ne faire jamais rien qui me deuſt faire haïr : mais auſſi à ne me tourmenter pas de vouloir eſtre aimée de tout le monde. Au contraire, j’ay ſongé à l’eſtre de peu : parce que j’ay creû qu’il y en avoit peu qui en fuſſent dignes. De plus, j’ay conſideré qu’une ſeule Perſonne ne peut pas aimer tant de gens : & que pour eſtre heureux, il faut vivre avec ce que l’on aime, & ne voir pas ce que l’on n’aime point. Voila Leoniſe quelle eſt ma maxime ; qui ne ſera jamais la voſtre, ſi vous ne changez bien d’humeur. Pour vous teſmoigner, dit Leoniſe, combien je deffere à vos ſentimens, apres avoir diſpute autant qu’il le faloit, pour vous faire dire ſi agreablement la cauſe de la rudeſſe que vous avez pourtant de perſonnes : je vous declare que je