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autres, à qui elle faiſoit meſme de plus longues reverences : tant il eſt vray qu’elle sçait admirablement l’art d’obliger de peu de choſe. Ne croyez pas Beleſis (interrompit Cleodore, en parlant à Leoniſe) puis que je ſuis aſſurée qu’il n’aime nullement la preſſe : & certes il a raiſon : car apres tout, adjouſta t’elle, que voulez vous faire de tous ces gens là ? Vous ne voulez point eſtre coquette, & vous ne l’eſtes pas en effet : vous ne les pouvez pas tous eſpouſer : vous ne pouvez pas meſme les eſtimer : à quoy bon donc de les endurer ? C’eſt, repliqua Leoniſe, que je ne trouve rien de plus doux, que de penſer que perſonne ne me hait : & qu’au contraire tout le monde m’eſtime & ſe loüe de moy. Ha Leoniſe, s’eſcria Cleodore, qu’il y a de foibleſſe à dire ce que vous dittes ! car enfin à quoy vous ſert l’eſtime, de mille perſonnes que vous n’eſtimez pas ? croyez s’il vous plaiſt ma chere Leoniſe, que c’eſt bien avez de vivre de façon que perſonne n’ait ſujet de nous haïr, ſans vouloir que tout le monde nous aime. Je tombe d’accord qu’il ne faut point eſtre médiſante ; qu’il faut faire tout le bien que l’on peut ; & ne laiſſer noyer perſonne faute de luy tendre la main : mais il faut pourtant vivre pour ſoy & pour ſes Amis, & non pas pour le public : il faut avoir de la civilité aux Temples ; aux Promenades ; & dans les Ruës : mais pour dans ma Chambre, ſi ce n’eſtoit pas aſſez d’eſtre froide, pour en chaſſer ceux qui m’incommodent, je ſerois encore incivile : & je pourrois meſme quelqueſfois aller encore plus loin, pour me delivrer de la converſation de certaines gens que je connois. Et certes ce n’eſt pas ſans raiſon : puis que de l’humeur dont je ſuis, il ne faut qu’un ſeul homme ſtupide, pour m’empeſcher de joüir avec plaiſir de la converſation des plus honneſtes