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de faire quelque inconſtant. Tout à bon, luy dit Cleodore en riant, vous me ſerez croire à la fin, que vous ne sçavez pas encore preciſément les choſes qu’il faut dire ou ne dire pas : je l’advoüe, dit Leoniſe, mais je sçay bien du moins celles qui me plaiſent. Et puis, adjouſta t’elle, je ne vous dis pas que j’aimerois cét inconſtant, que j’aurois fait : mais ſeulement que je me divertirois fort à l’avoir rendu tel. Ha belle Leoniſe, s’eſcriâ Hermogene, vous eſtes cette fois la encore plus malicieuſe que voſtre aimable Parente ne croyoit ! car pourquoy voudriez vous gagner des cœurs, ſi vous aviez abſolument reſolu de ne donner jamais le voſtre ? Cette reſolution, reprit Leoniſe, ne m’eſt à mon advis pas particuliere : & j’ay ſi bonne opinion de toutes les Perſonnes de mon ſexe, que je croy qu’il ny en a pas une qui face une ſemblable liberalité. Ce n’eſt pas, adjouſta t’elle en riant, que je n’aye quelqueſfois entendu dire, que quelques hommes ſe ſont vantez de poſſeder les cœurs de quelques belles Perſonnes : mais c’eſt qu’aſſurément ils les avoient dérobez par adreſſe, on arrachez par violence. Je vous aſſure, repliqua Hermogene, que de quelque façon que l’on puiſſe poſſeder le voſtre, ce ſera toujours une choſe fort glorieuſe, & fort agreable : quand ce que vous dittes ſeroit vray, reſpondit elle, ce ſeroit un bonheur qui n’arriveroit pas ſans peine à celuy qui le devroit recevoir : puis qu’il eſt certain que je ſuis reſoluë de ne donner pas ſeulement place en mon cœur, bien loin de le donner tout entier. De grace Leoniſe, interrompit Cleodore, ne parlez pas ſi determinément : puis qu’a dire la verité, il y a touſjours beaucoup d’imprudence à chanter le Triomphe devant la victoire. Vous n’avez encore eſcouté, luy dit elle en raillant,