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à en faire ; je trouverois plus glorieux d’arracher des cœurs d’entre les mains des Belles qui les auroient pris, que d’en prendre d’autres qui ne ſeroient encore à perſonne. Il y a bien de la malice à dire une ſemblable choſe, repliqua Cleodore, & meſme bien de l’injuſtice, & bien de la vanité. Ne vous ay-je pas dit, reprit Leoniſe, que je ne sçay point raiſonner juſte, ſur une pareille matiere ? Je penſe pourtant, adjouſta t’elle, quoy que vous m’en puiſſiez dire, que cela ſeroit aſſez plaiſant : mais voudriez vous bien que l’on vous quittaſt pour une autre ? repliqua Cleodore ; nullement, reſpondit Leoniſe, & c’eſt parce que je conçois admirablement le dépit que j’aurois, ſi une ſemblable avanture m’arrivoit, que je comprens parfaitement, le plaiſir qu’il y auroit à cauſer ce dépit là aux autres. Si les malheurs d’autruy vous donnent du divertiſſement (interrompit Beleſis, qui n’avoit point encore parlé) je pleins eſtrangement ceux qui ſont deſtinez à vous aimer : je penſe, repliqua t’elle, qu’ils ſeront en ſi petit nombre, que je ne donneray pas une ample matiere à voſtre compaſſion. Pour moy (dit Cleodore, ſeulement pour faire diſputer ſa Parente) je ſouhaite de toute mon ame, que bien loin de faire des inconſtants, le premier cœur que vous gagnerez le deviene, afin de vous punir d’un ſi injuſte ſentiment. Je ne me sçaurois pourtant repentir de l’avoir eu, pourſuivit Leoniſe, car quand je ſonge à la joye que j’aurois d’effacer l’image d’une autre, du cœur que j’aurois aſſujetty ; de forcer cét Amant à remettre entre mes mains les Portraits, & les Lettres de ſa premiere Maiſtreſſe ; & combien j’aurois de plaiſir à voir les uns, & à lire les autres ; je vous aſſure qu’il s’en faut peu que je ne ſouhaite eſtre aſſez belle pour pouvoir eſperer