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Cependant comme la civilité veut que l’on loüe toutes les Belles, & principalement celles que l’on voit la premiere fois, nous loüaſmes extrémement la beauté de Leoniſe Hermogene & moy : Beleſis la loüa auſſi, quoy que ce fuſt moins que nous, parce qu’il eſtoit devant ſa Maiſtreſſe : & qu’il n’ignoroit pas que c’eſt preſques un ſentiment general à toutes les belles, de ne pouvoit ſouffrir ſans chagrin que leurs Amans en loüent d’autres en leur preſence. Pour moy qui n’avois pas une ſi puiſſante raiſon de ſonger à ce que je diſois, j’exageray autant que je le pus, les loüanges de Leoniſe : je luy demanday ſi on ne luy avoit pas deſja eſcrit du lieu d’où elle venoit, la mort de pluſieurs de ſes Amans, que la douleur de ſon abſence devoit avoir fait mourir ? car, luy dis-je, s’ils n’eſtoient point morts, ils vous auroient tous ſuivis, & nous les verrions icy. Je vous aſſure, dit elle en riant, que quand j’aurois eu aſſez de beauté pour avoir des Amans au lieu d’où je viens, & pour m’en faire ſuivre à Suſe, je n’y aurois pas amené fort bonne compagnie : c’eſt pourquoy il eſt avantageux que je n’aye point fait de conqueſtes. Vous en ferez aſſurément bien toſt icy, reprit Hermogene ; & je ne doute pas meſme, adjouſtay-je, qu’elle n’y face pluſieurs inconſtants Eh de grace, interrompit Cleodore, ne preſagez pas tant de choſes fâcheuſes à la fois à Leoniſe ; comme ſeroient celles d’eſtre aimée par des hommes inconſtants, & d’eſtre haie de leurs Maiſtreſſes. Il paroiſt bien (dit agreablement Leoniſe en rougiſſant) que je n’ay encore guere veſcu, & que je viens d’un lieu ſauvage, où l’on ne connoiſt point l’Amour : car pour moy, il me ſemble que ſi j’eſtois telle qu’il faut eſtre pour faire des conqueſtes, & que je fuſſe d’humeur