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qui avoit deſja lié une amitié aſſez eſtroite avec ſa Parente. Mais Seigneur, nous fuſmes extrémement ſurpris de voir Leoniſe, que nous trouvaſmes avec elle : car encore que nous euſſions sçeu qu’elle devoit venir à Suſe ; que nous euſſions oüy dire qu’elle eſtoit belle ; & qu’Hermogene & moy nous ſouvinſſions que lors qu’elle eſtoit enfant nous avions toujours preveû qu’elle auroit beaucoup de beauté ; nous ne laiſſaſſes pas eſtre eſbloüis de l’éclat de ſon taint, & de celuy de ſes yeux. Car Seigneur, pour vous faire imaginer ce que nous parut Leoniſe, il faut que je vous die que la Nature n’a jamais donné à perſonne de plus beaux cheveux, ny un plus beau taint ; de plus beaux yeux, ny une plus belle bouche. Au reſte, quoy que ſa taille ne ſoit pas des plus grandes, elle n’eſt pourtant pas petite : au contraire, elle eſt ſi noble & ſi bien faite, qu’on ne peut rien voir de plus agreable. Outre toutes ces choſes, Leoniſe a encore un agréement plus grand que ſa beauté : & je ne sçay quoy de ſi doux & de ſi flatteur dans l air du viſage, que ſes yeux n’ont aſſurément jamais pris de cœurs ſans donner eſperance de toucher le ſien : quoy qu’elle ait pourtant de la modeſtie autant qu’on en peut avoir. Voila donc, Seigneur, quelle eſtoit Leoniſe, lors que Beleſis la vit la premiere fois chez Cleodore : qui nous preſenta tous trois à ſa belle Parente, de qui la civilité nous fit aſſez paroiſtre qu’elle eſtoit auſſi ſpirituelle que belle. Comme Cleodore & Leoniſe eſtoient des beautez toutes differentes, l’envie n’eut point de place en leur ame : elles avoient meſme cet advantage, qu’elles ne ſe deffaiſoient pas l’une l’autre : quoy qu’il faille pourtant advoüer, que Leoniſe avoit un air de jeuneſſe ſur le viſage, encore plus aimable que Cleodore : quoy qu’il n’y euſt que trois ans à dire de l’une à l’autre.