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touché le cœur de Cleodore : elle fut pourtant long temps ſans pouvoir ſe reſoudre à luy en donner volontairement quelques marques : il eſt vray que ſans qu’elle en euſt deſſein, elle fit beaucoup de choſes, qui nous firent connoiſtre à Hermogene & à moy qui sçavions le ſecret de Beleſis, qu’elle ne le haiſſoit pas. Ce n’eſt pas que pour l’ordinaire, elle n’euſt une froideur eſtrange pour luy, quand il cherchoit les occaſions de la voir avec empreſſement : mais c’eſt que quand il arrivoit qu’il ne ſe trouvoit point aux lieux où elle penſoit qu’il la deûſt ſuivre, elle luy en faiſoit touſjours quelque raillerie piquante : de ſorte que l’on peut dire (s’il eſt permis de parler ainſi d’une perſonne auſſi aimable que Cleodore) que ſa bizarrerie fut la premiere faveur que Beleſis reçeut d’elle. Mais à la fin apres que la fierté de Cleodore eut bien combatu ſa douceur, elle ceda peu à peu : & advoüa enfin à Beleſis qu’elle ne ſeroit pas bien aiſe qu’il ne l’aimaſt plus. De vous repreſenter quelle fut la joye de cét Amant, quand il eut obtenu la permiſſion de parler de ſon amour à Cleodore, il ne me ſeroit pas aiſé : le ſouvenir des rigueurs de cette Perſonne luy devint meſme agreable ; car encore qu’elle ne luy accordaſt autre faveur que celle de ſouffrir d’eſtre aimée, il ne laiſſoit pas de s’eſtimer le plus heureux homme du monde. Son bonheur ne fut pourtant pas long temps tranquile : parce que plus Cleodore vint à aimer Beleſis, plus elle devint difficile à contenter. Sil luy teſmoignoit beaucoup d’amour, elle diſoit qu’il eſtoit imprudent, de donner des marques ſi viſibles de la paſſion qu’il avoit pour elle : s’il aportoit ſoin à la cacher, elle luy reprochoit qu’il eſtoit change, & qu’il l’aimoit moins : s’il eſtoit guay, elle croyoit qu’elle luy avoit