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pas plus que moy. Beleſis croyant alors que Cleodore alloit luy dire quelque choſe de fort doux, luy dit que ce cela n’eſtoit pas juſte : qu’il ſuffiſoit qu’elle abaiſſaſt les yeux juſques à luy, & qu’elle ſouffriſt qu’il fiſt toutes choſes pour ſon ſervice. Ne vous haſtez pas encore tant, reprit Cleodore, de vous oppoſer à ce que je veux de vous, afin que nous ſoyons toute noſtre vie bien enſemble : mais encore, repliqua t’il, que faut il faire pour cela ? il faut dit elle, que vous m’aimiez beaucoup moins que vous ne faites, & que je vous aime un peu plus que je ne fais : afin que noſtre affection devienne une veritable & ſolide amitié. Quand vous aurez commencé de m’aimer un peu plus, reprit il, je verray ſi je vous pourray aimer beaucoup moins : ha Beleſis, interrompit elle, c’eſt à vous à commencer & non pas à moy ! ha Madame, repliqua t’il en ſouſpirant, ſi vous ne me pouvez aimer quand je vous aime plus que ma vie, vous ne m’aimeriez ſans doute pas, ſi je vous aimois mediocrement ! Mais cruelle Perſonne, adjouſta t’il, l’affection que j’ay pour vous n’eſt pas en mon choix, comme il ſemble que celle que vous avez pour moy eſt au voſtre : car ſoit que vous veüilliez que je vous aime, ou que je ne vous aime pas ; je vous aimeray non ſeulement malgré vous, mais malgré moy meſme. Ouy, pourſuiit il, in humaine Fille que vous eſtes, vous me reduiſez ſouvent aux termes de vouloir ne vous aimer plus, ſans que je puiſſe touteſfois chaſſer de mon cœur la paſſion qui le tiranniſe. Beleſis adjouſt en ſuitte beaucoup d’autres choſes, à celles que je viens de dire, ſans pouvoir rien obtenir : encore s’eſtimat’il bienheureux, de n’avoir pas eſté plus mal-traitté. Cependant le rare merite de Beleſis, ae laiſſoit pas d’avoir puiſſamment