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connut ſans qu’elle le luy diſt, qu’il eſtoit le premier de ſes Amis. Cependant il n’oſoit luy deſcouvrir qu’il eſtoit plus ſon Amant que ſon Amy : car comme il eſtoit dans ſa confidence, elle luy avoit advoüe un jour, qu’elle ſeroit la plus ſatiſfaite Perſonne du monde, ſi elle avoit pû voir juſques où pourroit aller la patience d’un Amant mal-traitté. Vous pouvez penſer, luy diſoit elle, que je ne ſuis pas d humeur à faire galanterie : mais ſi par hazard je perdois la raiſon, juſques au point que je vouluſſe me divertir de la folie d’autruy ; & que le caprice de l’Amour me donnaſt un Amant ; il eſt certain que je n’aurois pas un plus grand plaiſir, que celuy de le tourmenter. En effet, adjouſtoit elle, je ne croy point qu’il y ait rien de ſi doux, que de faire, ſouffrir de ces ſortes de gens, qui ſe font de ſi grands malheurs de ſi petites choſes : mais eſt il poſſible (luy diſoit Beleſis qui m’a raconté depuis juſques à ſes moindres penſées) que vous ſoyez capable d’un ſentiment ſi cruel ? S’il faloit, diſoit elle en riant, égorger un homme de ma main ; empoiſonner quelqu’un ; mettre le feu à une Ville ; & mille autres ſemblables choſes, j’en aurois ſans doute horreur, & j’aimerois mieux mourir que d’y penſer : mais Beleſis tant qu’il ne faudra pour faire des malheureux, qu’eſtre un peu ineſgale ; un peu fiere, & un peu inſenſible ; je m’y reſoudray ſans peine : & je trouverois ſans doute beaucoup plus agreable, que l’on me nommaſt inhumaine ; inexorable ; & cruelle ; & meſme Tigreſſe ſi vous voulez ; que de me venir ſimplement dire que je ſerois belle ; que je ſerois aimamable ; & que je ſerois charmante. C’eſt pourquoy, adjouſta t’elle, c’eſt un grand bonheur que je ne ſois pas née avec une