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la vit comme il la faloit voir pour en eſtre vaincu, auſſi le fut il en effet. Cleodore eſtoit ce jour là habillé de blanc, & parée de Diamants : ayant ſur la teſte quantité de plumes incarnates, que l’on entrevoyoit à travers ſon voile : & dont quelques unes pendoient meſme ſi bas par derriere, qu’elles touchoient ſa gorge quand elle tournoit un peu la teſte. Comme une des beautez de Cleodore eſt d’avoir les yeux admirablement beaux ; le taint fort blanc, & la mine fort haute ; elle n’eſt pas de celles de qui il faut chercher la beauté pour la trouver : car dés qu’on la voit on la trouve belle : & on eſt meſme perſuadé qu’on la trouvera encore beaucoup plus belle, quand on aura eu loiſir de la conſiderer ; de ſorte qu’il ne faut pas s’eſtonner, ſi Cleodore fit ce que tant d’autres n’avoient point fait. Beleſis ne la vit donc pas pluſtoſt, qu’il la prefera à toutes celles qu’il venoit de voir, & qu’il pria Hermogene de vouloir faire encore un tour de promenade : à peine eut il dit cela, que nous luy demandaſmes en riant, s’il avoit ſenty cette eſmotion de cœur & d’eſprit, qu’il diſoit devoir touſjours preceder l’amour ? il nous reſpondit alors en riant auſſi, qu’il n’eſtoit pas encore vaincu : mais qu’il craignoit fort de l’eſtre. Si vous le craigniez, luy dis-je, vous ne ſuivriez pas une ſi redoutable Ennemie : & il vaudroit mieux la fuir. C’eſt, me reſpondit il encore, que je n’aime pas à devoir mon ſalut à ma fuitte : & que j’aime mieux le devoir à ma reſiſtance. Parlant donc ainſi, Beleſis, Hermogene, & moy, rencontraſmes une ſeconde fois Cleodore, qui reconnut Hermogene : car à la premiere elle ne l’avoit pas aperçeu, parce qu’ayant