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aye pas plus de raiſon d’eſperer que l’en ay aujourd’huy, je retrouveray du moins touſjours ma Grotte & mon Deſert, pour y cacher ma ſouffrance & pour y mourir. Non non Seigneur, repliqua Beleſis, les choſes n’en viendront pas là : Mandane vous redonnera ſon amitié, & voſtre vertu ſera touſjours Maiſtreſſe de voſtre paſſion. C’eſt pourquoy il faudra que vous me laiſſiez retourer ſeul dans ma Solitude ; moy, dis-le, qui ne puis jamais rien eſperer. L’eſperance que j’ay eſt d’une telle nature, reprit Mazare, qu’elle eſt abſolument ſans douceur : parce que ce que j’eſpere, n’eſt ſans doute que ce que ma raiſon me conſeille de vouloir, & non pas ce que mon cœur ſouhaite effectivement. Et puis Beleſis, s’il eſt vray de dire, que la felicité conſiſte principalement à ſatiſfaire ſes deſirs, & à faire toujours ſa volonté ; on peut aſſurer que je ſuis le plus malheureux de tous les hommes : eſtant certain que je ne fais rien de ce que je veux, & que je n’auray jamais rien de ce que je deſire. De Grace, adjouſta ce Prince affligé, ne penſez pas qu’encore que je parle comme je fais, je me repente de m’eſtre repenty : non Beleſis, je ne le fais pas : & je ſuis ſi abſolument determiné à combattre pour Cyrus, juſques à ce que la Princeſſe Mandane ſoit delivrée, & à ne demander jamais à cette Princeſſe d’autre grace que celle de me pardonner, & de me redonner ſon eſtime & ſon amitié ; que je ne croy pas poſſible que toute la violence de mon amour & de mon deſeſpoir, me puiſſe faire changer de reſolution. Mais cela n’empeſche pourtant pas, que je ne ſente dans mon cœur tant de mouvemens tumultueux, que je dois me preparer à une guerre eternelle contre moy meſme. Au reſte, il faut que je vous die