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outre cela il fut dangereuſement bleſſé. Renfermez donc de grace, pourſuivit elle toutes ces reſſemblances que vous trouvez en nos advantures, en une ſeule, qui eſt que nous ſommes en priſon : encore eſt-ce bien differemment : car vous sçavez qu’il y a deux cens mille hommes en armes pour voſtre liberté, que le plus vaillant Prince de la Terre, & le plus Grand Capitaine tout enſemble, commande cette grande Armée, & qu’il ne combat que pour vous. De plus, vous pouvez luy ſouhaiter la victoire, & faire des vœux pour l’obtenir : mais pour moy, je ne ſuis pas ſeulement privée de toute eſperance de ſecours, mais encore de toute conſolation : ſi ce n’eſt de celle de voſtre amitié, qui en eſt veritablement une fort grande. Car enfin, il ne m’eſt pas permis de deſirer pour recouvrer ma liberté, que le Roy mon Pere ſoit vaincu ; qu’il perde la Couronne ; & qu’il devienne Eſclave. Cependant ſi Cyrus eſt vainqueur, la choſe ſera ainſi : & s’il ne l’eſt pas, le Prince Artamas perira en priſon, & je mourray en celle où je ſuis. De ſorte que ſans pouvoir ſeulement faire un deſir innocent qui me ſoit avantageux, il faut que je ſouffre les maux qui m’accablent, ſans en ſouhaiter meſme la fin. jugez apres cela, ſi je puis tomber d’accord que je dois voſtre affection à mes infortunes : & ſi je ne dois pas vous ſoutenir, que cela n’eſt point du tout, afin d’avoir du moins la conſolation de m’en pleindre : ce que je ne pourrois faire, ſi je croyois leur devoir voſtre amitié. Ce que vous me dittes, repliqua Mandane, eſt auſſi ſpirituel qu’obligeant : mais apres tout, je ne laiſſe pas d’eſtre perſuadée que les Dieux ont eu deſſein que le Prince Artamas aimaſt & ſervist Cyrus, & que Cyrus auſſi protegeaſt & conſolast Artamas : & qu’