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toute la moderation, dont un homme courageux peut eſtre capable. je ne vous diray point, Seigneur, quels furent ſes ſentimens en cette occaſion ; car vous pouvez facilement vous les imaginer : mais je vous diray qu’apres que par la prudence d’Abradate cette dangereuſe converſation eut finy, & que chacun entrepris le chemin de ſon Quartier, le Roy de Pont ne sçavoit plus comment agir avec le Prince Mazare : qui de ſon coſté ne sçavoit auſſi pas trop bien ce qu’il devoit dire au Roy de Pont. Car dans l’inquietude qu’il avoit, de craindre qu’eſtant découvert pour ce qu’il eſtoit, il n’euſt beaucoup plus de difficulté à executer ſon entrepriſe, il n’avoit pas l’eſprit bien libre : & ſi le Roy de la Suſiane n’euſt fait le tiers en cette converſation, il en ſeroit peut-eſtre arrivé quelque malheur. Apres avoir donc marché quarante ou cinquante pas ſans rien dire, Abradate s’aprocha de mon Maiſtre avec beaucoup de civilité : & luy adreſſant la parole, genereux Prince, luy dit il, je ſuis bien fâché d’eſtre obligé de vous rendre plus de reſpect que je ne vous en ay rendu juſques icy : car puis que vous ne vouliez pas eſtre connu, je penſe que vous aimeriez mieux eſtre encore Telephane, que d’eſtre le Prince Mazare : quoy que vous ayez rendu ce Nom ſi celebre, que vous ne puiſſiez je quitter ſans vous faire tort. Seigneur, reprit il (car j’ay sçeu exactement tout ce que ces Grands Princes ſe dirent en cette occaſion) j’ay touſjours eſté ſi malheureux, tant que j’ay porté le Nom de Mazare, qu’il n’eſt pas fort eſtrange que j’aye eu le deſſein. de le quitter durant quelque temps : mais à ce que je voy, celuy de Telephane ne m’eſt guere plus heureux. Pendant cela, le Roy de Pont ne parloit point, & rapelloit dans ſa memoire, de quelle façon