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liberté ; & à qui je devrois le Sceptre qui m’apartient & que j’ay perdu, ſi j’avois pû me reſoudre à le recevoir de luy. Touteſfois je ne puis faire autrement : & l’amour que j’ay pour Mandane eſt ſi violente, que je ne ſuis plus Maiſtre de ma raiſon. Telephane entendant parler le Roy de Pont de cette ſorte, creût que fortifiant un peu ſa generoſité, il pourroit peut — eſtre le porter à delivrer Mandane : ſi bien que pouſſé par un ſentiment d’amour, qui ne luy permit pas d’heſiter un moment, ſur ce qu’il avoit à dire ; il ſe mit à luy repreſenter tout ce qu’il s’eſtoit tant dit de fois à luy meſme, depuis qu’il s’eſtoit repenty d’avoir enlevé la Princeſſe Mandane. Ne ſongez vous point (luy dit il apres pluſieurs autres choſes qu’il luy avoit dittes auparavant) que chaque moment que vous retenez la Princeſſe que vous aimes, elle vous haït davantage ? Ouy je le sçay bien, repliqua le Roy de Pont ; mais Telephane, adjouſtoit il, imaginez vous, ſi vous avez aimé quelque choſe, quelle difficulté il y a, à ſe reſoudre de rendre une Princeſſe, qui dés qu’elle ſera en liberté, ſera en la poſſession d’un autre. Ha Telephane, pour me conſeiller comme vous me conſeillez, il faut n’avoir rien aimé ! Pluſt aux Dieux Seigneur (reprit il en ſoupirant, & ayant tant d’agitation dans l’eſprit qu’il eſtoit aiſé de voir qu’il ne mentoit pas) que ce que vous dittes fuſt vray. Non Seigneur, je connois l’amour : & c’eſt parce que je connois toute la puiſſance de cette paſſion, que je vous parle comme je fais. Car enfin quand on aime, n’eſt-ce pas pour eſtre aime ? Ouy ſans doute, reprit le Roy de Pont : pourquoy donc, repliqua Telephane, faites vous tout ce qu’il faut faire pour eſtre haï ? C’eſt parce que je ne puis faire autrement, reprit il, car par