Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/379

Cette page n’a pas encore été corrigée

pas me la donner ; parce que Feraulas qui eſtoit priſonnier avec Tegée m’auroit reconnu : & qu’il ne vouloit pas non plus aller au lieu où eſtoient les priſonniers de guerre, de peur que le Roy d’Aſſirie ne le viſt : ſi bien qu’il falut que Beleſis euſt cét employ ; & certes il euſt eſté difficile de mieux choiſir : car il s’en aquita admirablement, comme vous le sçaurez par la ſuitte de mon diſcours. En mon particulier, je taſchois auſſi de gagner quelques Soldats de la Citadelle, ſans leur dire pourtant a quoy je les voulois employer : ainſi travaillant tous chacun de noſtre coſté, quoy que nous ne viſſions pas encore grande apparence d’heureux ſuccés à noſtre entrepriſe, nous vivions pourtant avec un peu moins d’inquietude. Cependant comme le Roy de Pont eſtimoit infiniment le pretendu Telephane, il fit tout ce qu’il pût pour acquerir ſon amitié, bien qu’il n’y reſpondist pas trop : touteſfois comme il n’oſoit pas ſortir des termes de la civilité qu’il devoit à un homme de cette condition, le Roy de Pont ne s’en apercevoit pas, & l’aimoit extrémement : & juſques au point, que l’ayant trouvé un jour dans les Allées des Jardins du Roy, apres eſtre ſorty du Conſeil de guerre, qui c’eſtoit tenu ce jour là dans le Cabinet de Creſus ; il ſe mit à luy parler de ſes malheurs & de ſon amour. Mais entre tant d’infortunes qui luy ſont arrivées, il n’en exagera aucune avec tant d’ardeur, que celle d’avoir un Rival qu’il avoit tant aimé, & à qui il avoit tant d’obligation. En effet, (luy dit il, car mon Maiſtre nous raconta toute cette converſation à Beleſis & à moy) n’eſt — ce pas une cruelle choſe, qu’il faille eſtre injuſte & ingrat, au plus Grand Prince du monde ? à qui je dois la vie & la