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les Troupes qu’il avoit, juſques à un lieu où le Roy de Pont les devoit aller rencontrer avec d’autres : & en effet la choſe s’executa ainſi. Cependant comme Creſus avoit voulu que mon Maiſtre le ſuivist, lors qu’il eſtoit allé au lieu où le Roy de Pont & luy ſe virent, il ſe trouva en un embarras eſtrange ; quand ce Prince pour luy faire honneur, le preſenta à ſon Rival, comme un homme qui venoit embraſſer ſon Party, & de qui il attendoit de grands ſervices. Si bien que le Roy de Pont, jugeant par le procedé de Creſus, que ce Telephane eſtoit fort conſideré de luy : & ſa bonne mine luy perſuadant aiſément que c’eſtoit avec raiſon qu’il l’eſtimoit, il le reçeut avec une civilité extréme : où mon Maiſtre reſpondit avec tant d’eſmotion ſur le viſage, que je me ſuis eſtonné cent fois, que Creſus & le Roy de Pont ne s’en aperçeurent. Il eſt vray que s’eſtant remis un moment apres, il ſe tira en ſuitte de cette converſation, avec toute l’adreſſe que peut avoit un homme amoureux, qui veut tromper ſon Rival, pour delivrer ſa Maiſtresse. Le Roy de Pont fut donc auſſi ſatisfait de Telephane, qua Telephane l’euſt eſté de luy, s’il n’euſt pas eu une raiſon cachée qui oſtoit toute la force aux civilitez que ce Prince avoit pour mon Maiſtre, & qui l’empeſchoit de s’en tenir oblige. Il y avoit pourtant quelques inſtans, où le conſiderant comme ayant ſauvé la vie à la Princeſſe Mandane, il ne pouvoit pas qu’il n’en ſentist quelque reconnoiſſance dans ſon cœur, cependant quelque envie que Telephane euſt de voir la Princeſſe qu’il adoroit, il n’oſe aller aveque le Roy de Pont ; qui comme je l’ay deſja dit, devoit aller rencontrer Andramite qui l’eſcortoit. Car comme il n’eſtoit pas ſi aiſé de déguiſer ſon viſage que ſon