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point mort, elle en auroit autant de douleur, que j’ay de joye de sçavoir qu’elle eſt vivante : de plus, adjouſta t’il, j’ay encore le malheur, de n’avoir point de Rivaux, que je puiſſe raiſonnablement haïr, ny de qui je me doive pleindre. Le Roy d’Aſſirie a eſté cruellement trahy par moy, & je luy ay enlevé la ſeule Perſonne qu’il aimoit, & pour laquelle il venoit d’eſtre renverſé du Throſné, & de perdre le plus grand Royaume d’Aſie. Pour le Roy de Pont, pourſuivit il, que pourrois-je luy dire pour m’en pleindre ? je fais perir Mandane, il la fauve : l’accuſerois-je apres cela, ſans m’accuſer moy meſme ? & pourrois-je avoir l’injuſtice d’attaquer un Prince qui ſeul a empeſché Mandane d’entrer au Tombeau, que je luy avois ouvert ! Que dirois-je encore à l’illuſtre Cyrus ? reprenoit il, & de quel crime l’accuſerois-je ; ou pour mieux dire dequoy ne m’accuſeroit il pas ? l’employay le nom d’Artamene qu’il portoit alors, pour tromper l’adorable Mandane ; ce fut par cét illuſtre Nom que je la ſeduisis, & que je me mis en eſtat de perdre ſon eſtime & ſon amitié, que je poſſedois ſi abſolument. Vous ſouvient il Orſane, me dit il, du temps que cette illuſtre Princeſſe eſtoit à Babilone ; qu’elle m’apelloit ſon Protecteur ; & que je l’eſtois en effet ? helas que je ſuis loin de ce glorieux eſtat : j’ay meſme lieu de croire, que de tous ceux qui l’ont perſecutée par leur paſſion, je ſuis celuy qu’elle hait le plus : le Roy d’Aſſirie, tout violent qu’il eſt, ne l’a pas tant outragée que moy : le Roy de Pont non plus, n’ayant fait que garder ce que la Fortune luy a donné, n’eſt pas encore ſi criminel ; mais pour moy, je ne ſuis pas ſeulement un Amant injuſte, temeraire, & inſolent ; je ſuis encore pour cette Princeſſe, un Amy infidelle ; je ſuis un