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par des lieux où de propos deliberé je n’aurois jamais oſé paſſer, il tourna tout court à droit, derriere une grande Roche qui me le fit perdre de veuë : ſi bien que doublant le pas je tournay comme luy, & vy qu’il avoit laiſſé tomber ce qu’il m’avoit dérobé, & qu’il s’enfuyoit de toute ſa force. Mais Seigneur, je fus eſtrangement ſurpris, apres avoir tourné à droit comme je l’ay dit, de voir que la fuitte de cét Animal, m’avoit conduit dans une petite Plaine qui a environ quinze ou vint ſtades de long, & dix ou douze de large : & de voir quelle eſtoit bornée par le plus agreable Bois qui ſoit en tout le reſte de l’Univers : le long duquel s’eſleve une grande & ſterile Montagne, qui ſemble toucher les nuës tant elle eſt haute : & qui eſtant eſcarpée depuis la cime juſques au pied, fait le plus affreux & le plus bel objet du monde tout enſemble : n’eſtant pas poſſible de concevoir, à moins que de l’avoir veû, combien la verdure de cét agreable Bois, oppoſée à la ſecheresse de cette Montagne, fait un effet admirable à la veuë de ceux qui ſe connoiſſent un peu aux beautez univerſelles, & qui ſont capables de s’en laiſſer toucher. D’abord que je vy ce que je viens de deſcrire, je m’arreſtay : ne sçachant ſi je devois aller m’enfoncer dans ce bois, dont je ne connoiſſois point les routés : neantmoins comme je ne sçavois pas plus ſeurement un autre chemin que celuy là, je creûs qu’il valoit encore mieux s’égarer ſous un ſi bel ombrage, que de faire la meſme choſe parmy des Rochers où l’on ne voyoit pas ſeulement pouſſer une herbe. je traverſay donc cette petite Plaine, par où il faloit aller dans ceBois : au milieu duquel je voyois une grande route en forme de Berçeau, que les rayons du Soleil ne pouvoient traverſer, tant il eſtoit eſpais &